top of page

Échec et mat(e) !

Dans la première partie de cet article, je vous ai expliqué qu’une addiction est une stratégie inconsciente pour fuir la souffrance et garder une forme de contrôle.


Ce contrôle s’exerce à travers l’anesthésie des pensées et des émotions considérées comme gênantes.


Arrêter le porno nécessite donc de commencer par ouvrir les yeux sur cette stratégie et admettre qu’elle n’a pas été très efficace…


Contrôler votre comportement, oui. Contrôler vos pensées et vos émotions, non.


Après avoir défini le bon et le mauvais contrôle (cf. article précédent), je vais répondre maintenant à cette question : pour changer, à quelle étape du processus comportemental faut-il exercer un contrôle ?


Je rappelle au préalable qu’une action de type « réactif » (une compulsion en est une) se décompose en 4 phases :

  • Un déclencheur.

  • Un événement cognitif (une appréciation de situation, c’est-à-dire... des pensées)

  • Une ou des émotions concrétisée(s) par des sensations dans le corps.

  • Une impulsion, et une action (ou pas…).

(pour plus de détails, je vous renvoie à la série d’articles consacrés à cette question)


C’est à la dernière étape, celle de l’action, que vous devez exercer le (bon) contrôle : donner du sens, décider, agir.


Aux deux étapes précédentes du processus (les phases cognitives et émotionnelles), parler de contrôle risque d’induire des attitudes contre-productives : tomber dans le piège de la "maîtrise", donc de la lutte contre soi-même.


Voici le changement de perspective que je vous propose plutôt :

  • Vis-à-vis des pensées inadaptées : prendre de la distance.

  • Vis-à-vis des émotions disproportionnées : consentir et accueillir.

Cette démarche fera l’objet de deux étapes spécifiques de ma méthode. J’en dis néanmoins quelques mots rapides ci-dessous.



Vis-à-vis des pensées : ne pas tirer !


Dans le feu de l’action, le cerveau génère des "pensées automatiques" (ce que j’appelle les "pensées-prisons"). Ces phrases courtes et impératives, sont rapides mais conscientes, si bien qu’on peut les détecter. Exemples : "ça va me faire du bien", "j’en ai besoin", "je suis nul", "je ne sais pas faire sans". Je nomme "bandit manchot" la petite voix dans votre tête qui vous susurre ces pensées prisons.


Quand des pensées-prisons surgissent, le chasseur (bon ou mauvais, d’ailleurs…) ouvre le feu sans réfléchir : c’est-à-dire obéit à l’injonction comme à un ordre, ressent une émotion disproportionnée, et… tombe dans sa compulsion.


Pour ne pas vous comporter comme ce mauvais chasseur, ne cherchez pas à contrôler les pensées-prisons. Ce n’est pas possible. Vous risqueriez, en vous concentrant sur elles, de renforcer leurs circuits neuronaux dans votre cerveau.


Faites plutôt l’objecteur de conscience ! Vos pensées-prisons ne sont pas des ordres ! Elles ne sont que des pensées. Personne ne vous oblige à tenir compte de ce qu’elles vous disent. Elles ne sont qu’une interprétation erronée de la situation. Si elles sont inadaptées et ne vous aident pas à changer, prenez de la distance. Et souvenez-vous que votre cerveau primitif ne fait que son travail : dans un contexte donné, envisager le pire scénario pour assurer votre survie (et la sienne…).


En complément de cette prise de distance par rapport aux pensées en tant qu'elles sont un processus, vous pouvez aussi envisager une démarche de reprogrammation se concentrant sur le contenu des pensées : remplacer les idées fausses par des pensées plus adaptées, plus justes. Il est néanmoins relativement difficile de mener ce travail de fond sans une aide extérieure experte.



Vis-à-vis des émotions : ne pas se mettre "à couvert"


Les accidents de chasse, ça arrive. Ils sont parfois mortels. La chienne Lolita en sait quelque chose… Contrairement à ce type de bavures, les émotions, elles, ne tuent jamais.


Une émotion est un message qui transporte de l’énergie. Si une émotion est parfois perçue comme désagréable, elle n’est pourtant en elle-même ni bonne, ni mauvaise. Elle permet de s’adapter à son environnement et donne des indications sur la manière dont les besoins vitaux sont comblés ou pas.


Alors pourquoi vouloir vous protéger de vos émotions ? Ne faites pas comme le mauvais chasseur, ne tirez pas sans sommation sur tout ce qui bouge à l’intérieur de vous. Et retirez même votre gilet pare-balles ! Ne vous mettez pas à couvert. Vous n’avez pas besoin de vous protéger contre vous-même. Vous n’avez rien à craindre de vos émotions.



La démarche nouvelle qu’il vous revient d’entreprendre est double :

  • sur le principe, consentir à la survenue d’émotions

  • "à chaud", les accueillir en allant à la rencontre des sensations qu’elles entraînent.

La 3e vague des thérapies cognitives, comportementales et émotionnelles (TCCE) présente l’esprit de cette démarche avec une belle formule : "ressentir mieux plutôt que chercher à aller mieux". Plus besoin de fuir dans l’addiction.



C’est un scandale !

L’addiction au porno et à la masturbation, c’est comme un vaste scandale sanitaire…


Première erreur :

Vous prenez un médicament que vous vous êtes auto-prescrit. Êtes-vous au moins allé consulter un spécialiste avant de décider de consommer ces mauvais cachets ? Même pas ! L’automédication, c’est très dangereux… surtout si on achète les comprimés sur Internet… Leur provenance et leur composition chimique sont forcément douteuses… Ces potions sont probablement élaborées dans des ateliers clandestins installés en sous-sol. Sans parler des ouvriers travaillant à la chaîne dans des conditions dégradantes… Cette auto-prescription est d’autant plus dommageable que vous avez choisi un médicament qui n’en est même pas un… Croyez-vous vraiment que le porno consommé à haute dose et la masturbation pratiquée compulsivement vous font "du bien" lorsque vous croyez aller mal ?


Deuxième erreur :

Il y a de fortes chances (c’est même une certitude…) que la maladie que vous voulez soigner n’en soit pas une. Vos pensées, même si elles entraînent parfois de la souffrance ou un comportement contre-productif, ne constituent pas en soi une pathologie. Vos émotions ne sont pas une anomalie, même quand vous les jugez désagréables. Vous pouvez apprendre à apprivoiser les unes et les autres, à les gérer de manière adaptée. Vos tentatives pour garder le contrôle en fuyant dans l’addiction reviennent à vous maltraiter.


Troisième grosse erreur

Le traitement médicamenteux n’entraîne aucune amélioration par rapport à votre état initial. Voire, il vous nuit (au moins sur le plan psychique). Pourtant, vous le maintenez… Un placebo, au moins, ne fait pas de mal à défaut de soigner. Mais le porno ?

Vous vouliez noyer le poisson, mais vous vous êtes soûlé de poison. Vous avez pris le porno toxique pour une potion magique. Ça vous a porté la poisse…

Alors à quand l’arrêt complet ?


Échec… et mat(e) !


Résumons la situation :

  • Vous suivez un traitement qu’aucun médecin ne vous a prescrit. Vous n’avez aucune garantie sur la traçabilité de ce médicament, et pourtant vous l’ingurgitez les yeux grand ouverts.

  • La maladie que vous tentez d’éradiquer à l’aide de ce placebo n’en est pas une.

  • Enfin, votre état ne s’est pas amélioré depuis que vous avez commencé à vous "soigner". Au contraire, votre problème initial est toujours là et votre traitement médicamenteux a fait apparaître de surcroît de nouvelles difficultés.

Vous avez tout essayé pour arrêter l’addiction. Vous avez fait de louables efforts. Vous n’avez pas ménagé votre peine. Vous avez tenté ce que n’importe quelle personne à votre place aurait tenté. Vous avez fait appel à votre intelligence, à votre volonté. Vous avez jeté toutes vos forces dans la guerre. Vous avez eu des victoires. Vous vous êtes relevé après chaque défaite.


Ne culpabilisez pas. Ne regrettez rien. Foutez-vous du passé. Vous ne pouviez pas savoir.


Mais ce scandale sanitaire n’a-t-il pas trop duré ? Depuis combien de temps vous battez-vous contre vous-même ? Si vous arrêtiez tout ? Ici et maintenant, vous pouvez décider de laisser tomber enfin ces tentatives de contrôle et de fuite qui ne marchent pas. Acceptez simplement de reconnaître que vous avez échoué, perdu. Que vous êtes dans une impasse, un cul-de-sac.


Si vous essayiez une nouvelle stratégie ? Le changement est possible.


Arrêtez de perdre votre temps, de gaspiller votre énergie. Arrêtez de vous éloigner de ce qui compte pour vous. Arrêtez de laisser filer votre vie. Arrêtez de vouloir contrôler ce qui n’est pas un problème : vos pensées et vos émotions. Arrêtez de manquer de prudence dans la gestion de votre vie. Fuyez les attrape-manchots (les situations à risque, les coupe-gorge). Arrêtez de vous lamenter sur votre soi-disant manque de volonté : comme toutes les personnes souffrant d’une addiction, vous avez de la volonté à revendre ! Le tout est de la déployer à bon escient. Arrêtez de contrôler : agissez jour après jour et changez. Arrêtez de rêver à une vie meilleure. Vivez chaque seconde de celle qui vous a été donnée. Accueillez-la. Reconnectez-vous à vous-même.

Échec et mat(e) !

Ou encore, comme on dit au judo : maté (arrêtez) !

La partie est perdue.

Arrêtez de mater du porno, arrêtez de vous mater. Que vous soyez amateur de jeu d’échecs ou plutôt de judo, acceptez d’arrêter la partie, le combat. Mettez fin à la lutte fratricide ! Cessez le feu.


Le deuil de votre lien toxique a commencé.

bottom of page